4. Fayt, l’imprenable forteresse
Au cœur de la bataille de Seneffe.
Récit de la sanglante journée du 11 août 1674
par Jean Constant, soldat de l’armée française.
L’après-midi était à présent bien entamé. Nous venions de remporter ce deuxième combat. Ce n’était pas fini pour autant mais je m’arrêtais un instant au milieu de la plaine pour reprendre mon souffle. Une douleur lancinante me traversa le bras. Un soldat espagnol m’avait transpercé de sa baïonnette quelque temps auparavant. Je me fis un bandage de fortune avec un pan de mon uniforme et regardais autour de moi. Sur le sol gisaient les corps sans vie de soldats. Il y avait autant de Français que d’alliés. Les cadavres étaient si nombreux que l’on ne pouvait plus apercevoir un seul brin d’herbe. Je reconnus plusieurs hommes de mon régiment. Des hommes que j’avais côtoyés depuis le début de la guerre. Est-ce que tout cela avait vraiment du sens ? Pourquoi sacrifier autant de vies pour satisfaire les ambitions de quelques-uns ? Je pensais alors à mon Alsace natale, ses collines verdoyantes, et ses forêts. Les reverrais-je un jour ? Je pensais aussi à la femme que j’aimais et qui m’attendait. Me reverrait-elle un jour ? Je restais immobile au milieu de cette boucherie et une larme coula sur ma joue.
Les combats autour du prieuré de Saint-Nicolas-au-Bois poussèrent les alliés à se retrancher dans le village de Fayt. Orange fit de ce lieu une place forte, un bastion. En effet, le village présentait de nombreux avantages stratégiques: un bon environnement naturel pour les combats, une église et un château pour la défense. À Fayt, les soldats s’affrontèrent dans une rare intensité. Les combats se prolongèrent jusqu’à la nuit sans aucune issue concrète.
Un tir de canon me fit retrouver mes esprits et me rappela que la bataille se poursuivait. L’ennemi devenait de plus en plus tenace. Le prince d’Orange s’était retranché avec toute son armée dans le village de Fayt. Il avait transformé ce lieu en véritable forteresse en plaçant stratégiquement de nouvelles troupes sur tout le pourtour du village. Les arbres et les haies, bref, l’habitat naturel du lieu tournait également à son avantage. Nous attendions les ordres, espérant secrètement la retraite. Malheureusement pour nous, Monseigneur Condé n’était pas avare du sang de ses soldats. Il nous ordonna d’attaquer l’ennemi et de prendre le village. Nous étions épuisés et aucune nouvelle troupe ne semblait venir nous prêter main-forte. Je me lançais à l’assaut pour la troisième fois de la journée avec les quelques hommes qui restaient de mon régiment. Le terrain fut pris et repris de nombreuses fois à mesure que le soleil descendait derrière les arbres. La lutte était acharnée, nous donnions tout ce que nous pouvions. Les soldats ennemis furent repoussés mais, leur nombre dépassait largement le nôtre et, à chaque pas en avant, nous en reculions de cinq, l’instant d’après.